Rosarum Rosis Rosis

 

Arrivés devant la grille rouillée du jardin silencieux, nous l’avons délicatement poussée et, telle Alice traversant le miroir, nous nous sommes trouvés dans un conte de fées. Larges allées vertes et rases, bordées de haies de roses : roses sanguines, roses fond de teint, roses pourpres, roses timides, roses rosées, couperosées, roses fardées, roses soupçon, roses versatiles, roses-thé, théorie de roses, rosaire de roses, roses estocade, roses brumisées, roses nues, roses chair et esprit de roses, tout un camaïeu raffiné, serti dans la bénédiction des verts variés de ce printemps frisquet, de ce printemps frisson. J’ai eu la sensation de déguster en synesthésie, une glace pistache-framboise. Quelques traces de vanille aussi, touches de roses jaunes, presque insolites, notes dissonantes d’un uni vert-rose.
Nous parlions à voix basse, conscients d’être dans un sanctuaire où Dieu serait une Déesse, créatrice du vert et de l’éther des roses, ayant ravi au créateur sérieux du ciel et de la terre – son jardin excepté – un pan de son ciel palimpseste, aujourd’hui se grisant de gris, sans parvenir à ternir l’éclat mouillé des roses sur le contrepoint vert de l’écrin en écran.

 

Chiffonnade de roses, roses en effervescence, roses plissées, fripées, froncées, froissées, introverties ou exubérantes, roses pompons, roses pompeuses, roses moroses déjà se fanant, roses n’ayant duré que ce que durent les roses, envieuses c’est certain de l’insistante persistance maniaque de l’herbe. S’il ne pleuvait pas pour le moment, il avait plu et il pleuvrait – fluide pensée pour « jardin sous la pluie » de Debussy. Jardin à l’eau de roses. Ayant fardé l’éclat mais dissous les parfums. Et nos nez dépités enviant l’oeil se rinçant l’oeil. Quand, miraculeusement épargné, un soupçon de fragrance chatouillait une narine fortuitement fouisseuse, ce dosage homéopathique de senteur réveillait les réminiscences, affirmait les parfums enfouis dans le tabernacle odorant de la mémoire au moi dormant.

 

Au fond du jardin, un bassin timide, en pierre vert-de-gris, rêvait sagement sous un voile tendre de pétales roses qui tremblaient à peine sur le miroir d’eau. Bassin où se baignait sans doute, les nuits de roses blanches, les soirs de roses rouges ou les aurores roses de roses, dans la fragile beauté de sa nudité jalouse, la Déesse des roses, que nul ne peut contempler – dit-on – sans qu’en rose, à l’instant, elle le métamorphose. Sa beauté mérite sans doute cela.

 

 

 

Nous avons retraversé le miroir, retrouvant un printemps vert-sévère, perclus de traces d’hommes – moins pertinentes que la délicatesse des roses – et de brumes rhumatismales. La magie venait de se dissoudre. Presque. Comme dans le conte de « La petite maison en pain d’épices », apparut alors une maison, ni petite ni friande, grande belle maison de pierre dans son oasis verte et rose elle aussi, dans sa bulle fantasque échappée sans doute du jardin des contes infinis. Nous sommes entrés et j’ai vu la Déesse. Qui n’en était pas une. Seulement une fée, en blondeur presque blanche, fraîche bien sûr comme une rose, pommettes d’un rose saillant, longue robe d’organdi bouillonnante de dentelles, pantoufles de vair – je me plais à vouloir le croire ! Apparition très anglaise en fait, personnage de Béatrix Potter égaré en Auvergne profonde, ne sachant à quel versatile vert-green se vouer. Fée sans baguette magique mais, un paquet de farine à la main, en train de confectionner un clafoutis aux cerises… en lisant la recette sur internet. Peau d’âne pâtissière en aurait avalé sa bague.

 

 

 

Abandonnant, pour nous recevoir, le prosaïsme domestique, la fée nous dirigea sous la tonnelle, demandant au jardinier, bleu de travail et bottes insolemment crottées, de nous servir à boire. Sirop de pétales de roses dans des verres roses et, suprême raffinement fleuri, glaçons enserrant des boutons de roses. Étrange jardinier admis à la table des maîtres. Qui se mit à parler peinture, dévoilant une solide culture sur les courants d’art du vingtième siècle, jusqu’à des expositions très contemporaines. C’était en fait le mari de la fée. Effet garanti ! Contraste aussi frappant que la Belle et la Bête. L’éros et les roses ne se discutent pas.

 

 

 

 

 

J’ai croisé la vie en roses. Dans l’écrin vert d’un printemps arrosé. Dans le mil de mon coeur, un bouton de roses se souvient.

Instituteur à la retraite, amoureux de la nature, Charles Simond est un « colporteur de poésie » comme il aime à se définir. Depuis sa première publication en 1979, il a réalisé quatorze ouvrages, de la poésie, des romans, pièce de théâtre ou livres pour enfants.
Ébloui par sa visite à la Rose des Prairies, il a composé une ode au jardin et à sa créatrice.